1er symposium : L’Animal Sauvage et l’Homme : une alliance éternelle ?
31 janvier 2025

Cette première journée dédiée au monde sauvage et à la place que l’Homme lui accorde fut très riche en échanges et en réflexions. C’est bien 46 personnes qui ont partagé cette journée, sur La Réserve des Monts d’Azur.

Patrice Longour, directeur de la Réserve, Emmanuel Desclaux, archéologue départemental à la grotte du Lazaret, Thierry Lecomte, écologue et gestionnaire de la RN des Courtils de Bouquelons, Dominique Gauthier, vétérinaire spécialiste de faune sauvage, Jacques Deshamp, philosophe et écrivain, mais aussi Julie Chêne et Aymeric Dufresnoy, responsables scientifiques de La Réserve, ont échangés sur la nécessité de revoir nos choix sur les solutions fondées sur la nature.

Ecologie, histoire, philosophie, politique et économie des territoires naturels et sauvages ont été abordés. Ce document est un compte rendu de cette journée.

 

La matinée

L’ANIMAL SAUVAGE ET L’HOMME : UNE ALLIANCE ÉTERNELLE ?

Patrice Longour, directeur, vétérinaire et fondateur de La Réserve des Monts d’Azur, présente cette journée comme le commencement d’un mouvement en faveur des territoires sauvages. L’Homme s’en est éloigné, les délaissant en les considérant comme « inutiles ». Mais aujourd’hui, il se retrouve face à un choix crucial : continuer sur cette lancée ou bien comprendre la diversité du vivant et l’ensemble des services écologiques que nous rend le monde sauvage. La réponse apportée à cette question par l’expérience de la Réserve des Monts d’Azur (plus de 20 ans dédiés au Sauvage) montre que l’ensemble des cycles naturels (de l’eau, de l’air, du carbone, pollinisation…) se déroulent précisément dans les territoires sauvages et que notre bien-être est entièrement dépendant de leur bonne santé. Confirmant ainsi que l’alliance Homme animal sauvage est éternelle.

L’est-elle vraiment ?

Emmanuel Desclaux, paléontologue à la grotte du Lazaret, ouvre le débat par une présentation de l’évolution de l’alliance faune sauvage – Homme au cours de l’histoire. Une étude attentive des migrations des successions d’espèces qui donneront Homo sapiens, révèle bel et bien que l’Homme, initialement charognard puis chasseur cueilleur, optimisa son mode de vie par la création d’outils. Sa sédentarisation fut alors le point de rupture entre le monde sauvage et Sapiens qui, inféodé à ses inventions, vit toute présence du sauvage comme une menace à ses activités récentes d’élevage et de culture.

Quel est notre rapport au Sauvage ?

Jacques Deschamps, philosophe et écrivain, revient sur la définition même du mot sauvage. Trop souvent utilisé comme une notion péjorative, ou bien à l’opposé comme un synonyme de liberté. Nos civilisations se sont érigées au-dessus de la Nature par des pensées encrées et portées par les religions (principalement monothéistes). Ces visions ne sont pas si modernes dans le temps de l’humanité et la plupart des milieux « naturels » que nous connaissons aujourd’hui ne sont que le résultat d’années d’exploitation ou de déprise humaine.

Julie Chêne, responsable scientifique de La Réserve des Monts d’Azur, apporte sa vision d’écologue. Sur La Réserve, un animal sauvage est un animal dont l’évolution n’a pas été affectée par la domestication ou même par des interventions humaines ponctuelles. L’animal sauvage est donc le résultat d’une évolution naturelle, corrélée au milieu dans lequel il vit. Ainsi, dans le monde actuel où la biodiversité est en déclin et soumise à la gestion constante et pesante de l’Homme, le Sauvage se retrouve dans une impasse, voué à s’éteindre. Mais l’Homme est une espèce dépendante des services écosystémiques rendus par la nature qui sont et qui seront impactés par cette perte de biodiversité. Il est donc urgent de se poser les bonnes questions et de changer rapidement nos visions et nos choix en adoptant des solutions fondées sur la Nature sauvage.

Le code rural et de la pêche maritime impose aux propriétaires et détenteurs de tous cadavres d’animaux de les confier à un établissement agréé en vue de leur élimination. Cependant, la réduction du transport des carcasses permettrait, entre autre, d’économiser 104 000 tonnes de CO2 émises.

Après une courte pause, les échanges reprennent par la présentation des bienfaits de l’équarrissage naturel par Thierry Lecomte, docteur en écologie et gestionnaire d’une Réserve Naturelle et Dominique Gauthier, vétérinaire spécialisé en faune sauvage. Irremplaçables « outils multifonctions » dans l’entretien d’un milieu naturel, les grands herbivores sont, eux aussi, soumis aux lois de la Nature et donc mortels. Les méthodes d’équarrissage actuelles, incohérentes au niveau biologique et de leur bilan carbone, emmènent à la conclusion que les écosystèmes sont appauvris d’une des composantes de la litière : le cadavre des grands vertébrés. Notre posture hygiéniste sur le sujet ne prend pas en compte, aujourd’hui encore, la question de la biodiversité rattachée à cette solution fondée sur la nature : l’équarrissage naturel. Les contraintes légales et administratives actuelles, empêchent les gestionnaires d’espaces naturels d’utiliser, malgré ces bienfaits pour les milieux, l’équarrissage naturel. La législation doit évoluer et s’adapter afin de concilier risques sanitaires, nuisances de proximité et biodiversité. Pour cela, une pédagogie dédiée est à promouvoir.

 

 

L’équarrissage naturel doit être revu et multiplié en conciliant les risques sanitaires, la biodiversité et les nuisances de proximité associé(e)s.

L’après-midi

L’après-midi est réservée pour un débat riche et passionnant autour des freins actuels au Réensauvagement des espaces naturels en France, et plus particulièrement dans les Alpes maritimes, et quelles pourraient être les solutions en terme d’activité ou de financement. C’est ainsi que tous se sont retrouvés à discuter d’une nécessité de mise en place d’une économie du sauvage.

L’après-midi est réservée pour un débat riche et passionnant autour des freins actuels au Réensauvagement des espaces naturels en France, et plus particulièrement dans les Alpes maritimes, et quelles pourraient être les solutions en terme d’activité ou de financement. C’est ainsi que tous se sont retrouvés à discuter d’une nécessité de mise en place d’une économie du sauvage.

Le problème récurrent à la mise en valeur des espaces sauvages et la mise en place de solutions de conservation pérenne est le manque de moyens financiers. Pourtant la déprise agricole et le recul du tourisme d’hiver offre de nombreux territoires qui pourraient être utiliser pour le réensauvagement. Mais hélas ils sont, pour l’instant, plus rentabilisés par l’installation de champs photovoltaïque, etc. Les espaces sauvages sont dits gratuits, bien qu’ils emmènent une énorme plus-value par la « production » d’eau, d’air, de ressources génétiques. Plus généralement, ils sont le lieu unique d’accomplissement de tous les grands cycles biologiques. Donc nous devons construire ensemble une réflexion sur la mise en valeur économique des espaces naturels (riches en biodiversité sauvage). C’est l’ENJEU MAJEUR pour réussir cette transition vers des territoires protégés. Dominique Gauthier, vétérinaire et chercheur spécialiste de la faune sauvage.

Si le souhait est de mettre en place des actions de réensauvagement, il ne faut pas aller chercher les moyens de l’état. Pour enclencher ce mouvement, il est préférable de privilégier l’échelle locale, en mobilisant les maires des communes. Arthur Astoury, étudiant en alternance au ministère de la transition écologique.

Cependant il faut dans un premier temps que le maire soit intéressé par les problématiques environnementales. Il est aussi le représentant des habitants. Il y a donc un travail de sensibilisation à faire. Et pas seulement auprès des élus mais surtout auprès des habitants de la commune. Anthony Salomone, maire de la commune de Aiglun dans le 06.

Dans un territoire comme un PNR, les communes sont déjà sensibilisées et conseillées sur leurs actions d’aménagement et de gestion des espaces naturels. Une démarche aussi conséquente qu’un changement de vision sur l’animal sauvage demanderait avant tout une concertation des différents acteurs, un véritable accompagnement, et des moyens financiers solides. Dominique Reisler, directrice du Parc Naturel Régional des Pré-alpes d’Azur.

L’accompagnement et l’éducation des différents acteurs à l’écologie et à l’aménagement du territoire sont à revoir. Les élus n’ont pas tous une culture environnementale, et peuvent donc manifester une peur du sauvage, en l’associant à un retour en arrière. L’animal sauvage étant de fait exclu du monde occidental moderne (voir à ce sujet son statut de res nullius).

L’appelation “territoires sauvages” peut être encore mal perçue par des locaux ; associant “sauvage” à quelque chose de péjoratif, voire insultant.

La prise en compte des territoires sauvages nécessite des moyens accrus pour des communes qui sont pour la totalité rurales et peu peuplées. Aujourd’hui en France, comme dans les Alpes-Maritimes, les espèces sauvages n’occupent que les zones délaissées par l’homme. Il n’y a pour le moment aucune volonté politique de revoir notre relation au monde sauvage ; ce malgré la mise en protection de certaines zones naturelles, sur une petite surface (environ 2% du territoire national). Rappelons qu’il est indispensable de préserver l’habitat et les espèces. Une espèce dépend du milieu et des interactions écosystémiques qui le régissent. En effet sans la préservation concrète d’un habitat, les services écosystémiques rattachés à ces milieux naturels ne sont pas rendus et leur absence impacte grandement la qualité de vie des populations locales, humaines et animales. On peut citer, à titre d’exemple, la destruction des zones humides et la perte de leur rôle dans la limitation des inondations. Que dire du risque incendie qui s’accroit avec le réchauffement climatique (Mégafeux du Canada, de la Sibérie ou de Los Angeles) et que la présence de grands herbivores sauvages pourrait considérablement réduire la puissance et l’étendue. Thierry Lecomte, docteur en écologie et Daniel Siméon, naturaliste.

C’est alors que le sujet du tourisme vert, et particulièrement du tourisme animalier a été évoqué. Le tourisme Nature, qu’il soit pour des observations naturalistes, pour la photographie est très présent dans différents pays à travers le monde. Encourageant ainsi les territoires concernés à la préservation de la biodiversité : espèces et milieux associés. Lorsqu’elle est bien maitrisée, l’activité touristique est un formidable levier économique et écologique (conservation des habitats). Malheureusement, ce tourisme naturaliste est mis de côté en France. Tant que ce tourisme ne sera pas promu (destination Sauvage), il sera difficile d’estimer son intérêt auprès du grand public ainsi que ces retombées économiques locales. Thomas Galewski, directeur de recherches à la Tour du Valat et Brigitte Kan, entomologiste et cinéaste naturaliste.

C’est alors que le sujet du tourisme vert, et particulièrement du tourisme animalier a été évoqué. Le tourisme Nature, qu’il soit pour des observations naturalistes, pour la photographie est très présent dans différents pays à travers le monde. Encourageant ainsi les territoires concernés à la préservation de la biodiversité : espèces et milieux associés. Lorsqu’elle est bien maitrisée, l’activité touristique est un formidable levier économique et écologique (conservation des habitats). Malheureusement, ce tourisme naturaliste est mis de côté en France. Tant que ce tourisme ne sera pas promu (destination Sauvage), il sera difficile d’estimer son intérêt auprès du grand public ainsi que ces retombées économiques locales. Thomas Galewski, directeur de recherches à la Tour du Valat et Brigitte Kan, entomologiste et cinéaste naturaliste.

Pour rebondir sur la nécessité de trouver les moyens financiers nécessaires à la sauvegarde des milieux naturels, il existe un outil récent : la dotation aux aménités rurales. Cette dotation est destinée aux communes rurales dont une partie du territoire comprend une aire protégée ou jouxte une aire marine protégée. Son montant était de100 millions d’euros en 2024. Malheureusement ce financement n’est pas, pour l’instant, affecté et les mairies n’utilisent pas toujours cet argent pour améliorer leur environnement naturel. Les écologues de l’Université de Montpellier se battent pour que l’on finance les services écosystémiques à travers ce type d’outil. Comment faire progresser à l’échelle locale et globale, ces idées de naturalité et de plus d’espaces sauvages/ en libre évolution/ plus de liberté et de respect pour le vivant ? Il faut que l’on soit plus à l’écoute de ceux qui sont réticents. Quand on propose un changement, pour les gens qui ne s’y connaissent pas, la première chose que perçoivent les gens qui ne connaissent pas le sujet est le risque associé. Et ce risque n’est pas assez accompagné. Olivier Thaler, professeur à l’université de Montpellier.

Ces risques (fonctions d’un écosystème qui sont ou perçues comme négatives pour le bien-être humain) sont donc appelés des di-services. Il faut, dans les projets de solutions fondées sur la Nature, rester conscient des avantages et des inconvénients, et se préparer à accompagner ces inconvénients. La présence de nouvelles espèces, prédateurs comme petits et grands ongulés sauvages soulèvera des oppositions. Il faut accompagner les oppositions par la prévention de ces fameux risques, en mettant en place un suivi, alternant recherche et application terrain. L’intérêt de cet accompagnement est aussi de créer de nouvelles opportunités d’ingénierie, de recherche et de travail. En France, aujourd’hui, l’étude, le suivi et la gestion du sauvage relève encore des domaines du hobby ou du bénévolat alors que c’est un métier. Il y a donc une belle opportunité de créer de l’emploi dans les di-services. Hadrien Raggembass, éco-éthologue.

 

Soyons conscients des avantages et des inconvénients associés aux solutions fondées sur la nature – et mieux accompagner les inconvénients.

Les sociétés occidentales vivent dans un paradoxe : la gratuité de la Nature. Toute l’économie capitaliste est basée sur la gratuité de la Nature : on accepte de payer l’extraction, la transformation, le transport ou la distribution des matières premières mais on reste incapable de donner une valeur aux services écosystémiques. Ce paradoxe est tel que les zones riches en biodiversité sont systématiquement des zones pauvres économiquement et les zones riches économiquement sont systématiquement pauvres en biodiversité. Il devient urgent de rétablir un équilibre car nos zones naturelles disparaissent à un rythme effréné (en France 60 à 80 000 hectares par an !). N’ayant qu’une très faible valeur économique, elles deviennent le lieu privilégié de construction de toutes nos infrastructures. Pour ralentir ce désastre écologique, les villes qui bénéficient, toutes, de services écosystémiques produits par ces territoires sauvages devraient reverser une partie de leur richesse à ces territoires, en acceptant de payer les services qu’elles utilisent. Nous avons demandé, dans la première rédaction de charte du PNR des Préalpes d’Azur, que soit introduit la notion de solidarité écologique territoriale. Afin de reconnaitre la dépendance des zones urbanisées au bon état des zones naturelles qui les entourent. Un exemple concret : aux USA ou en Allemagne, les propriétaires des bassins versants reçoivent des collectivités qui utilisent les eaux produites sur ces bassins une rémunération pour garantir la qualité de la ressource. Ce système est encore en France expérimental !!!

La Nature n’est pas gratuite. Derrière ces marécages, landes, prairies ou forêts sauvages, se trouvent des propriétaires privés ou publiques qui les entretiennent et font en sorte que leurs dynamiques écologiques existent et perdurent. Mais à quel prix ? Nous devons réfléchir ensemble à construire une économie du sauvage. Afin d’encourager les propriétaires à maintenir ces écosystèmes, indispensables au bien-être de tous, en bonne santé. Cela a un coût que nous devons accepter de payer. Patrice Longour.

Le problème est donc bien identifié, nous devons trouver un moyen économique de revaloriser les milieux naturels. Le pays étant endetté, il ne sert probablement pas à grand-chose d’aller demander de l’argent à l’état dans les 5 prochaines années. Les collectivités doivent faire face à de nouvelles obligations liées au désengagement de l’état. L’argent n’est donc pas là non plus. Il est dans le privé, dans les fonds structurels des pays émergents, chez les personnes gérants les grandes fortunes et dans le mécénat. Le nerf de la guerre est de trouver les moyens d’intéresser ces personnes.

L’élément touristique est-il la solution à privilégier, quand on sait que les Alpes-Maritimes accueillent 14.5 millions de touristes pour un millions d’habitants ? Avec hélas un impact environnemental fort de la plus grandes partie de ce tourisme, en particulier au niveau transport. Dans ces circonstances, il serait sans doute intéressant d’explorer la piste d’une économie bâtie sur l’alliance recherche publique- bio industries et biotechnologies. Cette partie de l’industrie a aujourd’hui besoin de comprendre la biologie, de développer le biomimétisme, de préserver les ressources génétiques du futur. Elle a donc besoin de zones réensauvagées qui seront des lieux d’expérimentations fantastiques. Thierry Benmussa, directeur d’opérations financières à l’université côte d’Azur.

La conclusion

La conclusion de cette journée se résume en un mot : AGIR.

L’urgence est connue. La volonté de préserver nos territoires sauvages pour les services écosystémiques qu’ils nous apportent et la biodiversité qu’ils accueillent est là. Nous avons conscience qu’il faut améliorer l’accompagnement des acteurs de ces territoires pour l’évaluation des impacts des activités humaines comme à celle des services écosystémiques. Agissons ENSEMBLE en croisant les regards et les domaines de compétences. Les pistes d’actions sont nombreuses. Retrouvons-nous encore plus nombreux au mois d’avril. Pour vous aider à mettre en place des actions locales, vous trouverez en page annexe la liste et les contacts des personnes présentes aujourd’hui.

La Réserve des Monts d’Azur souhaite que tous les acteurs se mettent autour d’une table afin que l’on puisse pérenniser 30 % de territoires sauvages. Le combat est lancé. Nous allons créer, en 2025, un fond de dotation afin de financer des actions concrètes de Réensauvagement dans le haut-pays grassois. Nous vous adresserons très vite les dates de nos prochaines rencontres.

 


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